Ce moulin d’une taille importante est le premier de cette nature dans la région. Le canal du Réal  qui longe la propriété entraine de lourdes meules en pierre dure qui écrasent la racine de garance séchée en fine poudre rouge créant ainsi le «rouge garance » utilisé principalement par l’armée française pour teindre les uniformes des soldats. Une idée de Napoléon qui aurait préconisé ce rouge pour que l’on ne voit pas les taches de sang sur les pantalons des pauvres hussards.

A cette activité qui ne sera pas autant porteuse qu’elle ne l’espérait  la famille Mistral va également adjoindre la culture de chardon cardère très utilisée par les mêmes clients – des drapiers du nord de la France – qui l’utilise pour assouplir la laine et la rendre soyeuse. 

Ces deux activités seront abandonnées à la fin du siècle car les substituts chimiques découverts par des chercheurs donnent un résultat très proche pour une mise en œuvre incomparablement plus simple. 

Le rouge garance sera également abandonné par l’armée française qui s’était rendu compte que les soldats se faisaient repérer de très loin avec ces couleurs très vives, le bleu le remplacera dès le début de la première guerre mondiale.

Une dernière activité avait pris place dans le moulin qui entrainait d’autres rouages probablement utilisés pour presser les olives et remplacer ainsi les anciens pressoirs du moyen âge dont on trouve encore les traces de leurs emplacements au sol ainsi que les rigoles qui emmenaient l’huile vers une grande cuve en pierre au centre de l’ancien moulin vouté.

Au début du XXème siècle, constatant que ces activités n’étaient plus porteuses, la maison Mistral s’associera avec la maison Garcin pour devenir GM (Garcin-Mistral) et développer la culture de semences.

C’est également au début du XXème siècle que Blanche Mistral épousera Louis Valay donnant naissance à beaucoup d’enfants qui eux-mêmes s’occuperont de La Fabrique pendant plus d’un demi siècle encore.

La famille Valay était citée en exemple dans les livres de géographie des années 50 parce que remarquable par ses progénitures. Plus de 500 petits enfants seront dénombrés…

C’est en 1985 – les derniers propriétaires de La Fabrique ne pouvant plus assumer l’immense charge que représente ce domaine anciennement agricole –  que le fameux critique musical Armand Panigel s’installe avec son épouse dans les locaux « presque » dessinés pour ses activités dont la collection de livres, films et disques.

Sa Collection compte alors 100 000 disques, des milliers de livres et films.

Armand Panigel vient de quitter la radio France Musique sur laquelle il a animé pendant plus de 38 ans une émission dont il était à l’initiative : « La Tribune des Critiques de disques ». C’est avec ses amis Jacques Bourgeois et Antoine Goléa qu’il a l’idée de comparer les interprétations d’œuvres musicales que l’on peut enfin étudier depuis la naissance du phonogramme et de sa commercialisation au début des années 30.

Cette émission passionnera des millions de téléspectateurs qui découvriront ainsi également la musique classique… Qui ne se souvient pas des accents typiques de ces excellents orateurs et de leur merveilleuse élocution ?

Monsieur Panigel vivra à La Fabrique une dizaine d’année emporté en 1995 par un cancer dont il ne guérira pas. Son fonds passera pendant ces années de 100 000 à 200 000 supports dont environ 70 mille 78 trs, 120 000 microssillons et des milliers de CD, films et ouvrages sur la musique et le cinéma.

 L’ « Association Audiovisuelle Armand Panigel » qu’il a créé pour proposer aux conservatoires et universités une copie des transferts réalisés par ses soins et destinés aux étudiant et professeurs démunis d’outils didactiques sera liquidée auprès du tribunal de commerce de Marseille après sa mort trouvant au passage repreneurs de l’activité.

C’est finalement Pierre Bergé qui rachètera l’ensemble en 1997 pour sauver la Collection du démantèlement prévisible et annoncé de ce fonds unique au monde.

C’est également à cette époque que mon épouse et moi-même proposons nos services à Monsieur Bergé pour reprendre le flambeau et protéger ce trésor inestimable.

Nous rachetons le bail emphytéotique qui porte sur l’ensemble de la propriété à Monsieur Bergé et nous y installons non sans difficultés en juillet 1999.

La tache est immense, la propriété, dont Mr Panigel n’avait jamais pu réellement assurer l’entretien après les très importants travaux engagés de 1985 à 1987, est à reprendre entièrement. Le parc est devenu une friche impénétrable. Les installations inopérantes, les façades, volets, huisseries et abords entièrement délabrés. Il faudra aussi refaire la plupart des pièces d’habitation… Plus de 2000 mètres carrés sur les 3500 que comptent le bâti.

Rapidement La Fabrique renait et les St Rémois peuvent venir visiter ce haut lieu de production de garance que chacun ici connaissait et vénérait.

Une convention est signée l’année qui suit notre arrivée avec l’Université d’Aix-Marseille laquelle prévoit l’accueil des étudiants en Master I et II de Musicologie. C’est pour eux depuis cette date une chance unique que de pouvoir disposer localement d’un fonds aussi riche en livres, magazines et disques. L’inventaire et le catalogage en sont assurés par eux-mêmes depuis cette date.

C’est en 2007 que nous créons le studio d’enregistrement équipé d’un matériel audio professionnel utilisé dans les plus grandes structures internationales. Ce n’est cependant pas seulement pour l’équipement que les artistes se déplacent du monde entier mais surtout pour l’inspiration qu’ils trouvent unanimement dans cet univers de technique plongé dans l’écrin que constituent les collections. Les acoustiques y sont excellentes et uniques. Leurs typicités les font se reconnaître à l’écoute des disques enregistrés. La structure d’hébergement constituée au fil du temps dans les nombreuses pièces vacantes font de ce lieu l’un ou le plus important studio d’enregistrement résidentiel au monde.

Les artistes, musiciens, auteurs et compositeurs y viennent volontiers en résidence et séjournent plusieurs semaines parfois totalement immergés dans cet univers créatif.

La société Maven – Maxime notre fils passionné aussi par cet univers et l’un de ses ami devenu associé – créé en 2010 l’activité de Master Class Mix With The Master. 

Les participants – au nombre de 200 par an sur les 12 semaines que comptent l’activité chaque année – se déplacent du monde entier et se réunissent autour d’un producteur ingénier du son choisi pour ses talents qui leur dévoile toute ses techniques et ses savoirs « know How » appris au fil des ans. Le programme est unique et passionne tous les professionnels réunis et logés à cet effet dans les nombreuses chambres de La Fabrique. Une sorte de Villa Medicis qui ne désemplit pas du 1erjanvier au 31 décembre de chaque année depuis 7 ans. Plus de 100 séminaires d’une semaine à raison de 15 participants fêtés en 2016.

Parmi les artistes réputés que nous accueillons depuis une dizaine d’années nous citerons : Charles Aznavour, Stéphane Eicher,  Patricia Kaas, Patrick Bruel, Jean-Louis Aubert, Louis Chédid, Jacques Higelin, Arthur H, Zazie, Julien Doré, Soprano etc… pour les Français et Nick Cave, Marti Pellow (Wet Wet Wet), Herbert Grönemeyer, Ivano Fossati, The Foals, Radiohead, Morrissey etc… Pour les étrangers.

Citons enfin le « Festival de la B.O. » créé en 2010 et 2011 puis abandonné par manque de moyens qui sur 3 journées réunissaient des centaines de personnes venus écouter des concerts de 3 genres musicaux différents (classique, jazz et variété française) et voir 3 films associés projetés sur grand écran au vieux et superbe format 35 mm. Il ne demande qu’à reprendre…

J’en profite pour féliciter au passage l’équipe de passionnés qui nous entoure depuis tant d’années. 

18 ans donc, consacrés totalement à la restauration du domaine, la conservation du fonds ainsi qu’au développement d’activités audiovisuelles connexes toutes réunies sous les mêmes toits et que nous avons le plaisir non dissimulé de vous faire découvrir au cours de cette visite guidée.

Hervé et Isabelle LE GUIL